Dans le cadre du concours d’écriture régionale « le plaisir d’écrire » organisé par les centres de documentation de lutte contre l’illettrisme (CRAPT-CARRLI à Strasbourg et Didacte, Papyrus à Colmar) plusieurs détenus de la maison d’arrêt ont rédigé des textes sur la base du volontariat dans le cadre de l’atelier d’écriture.
Ces textes ont été sélectionnés par le jury du concours de l’écriture.
PLONGÉE
J’essaie d’écrire quelques lignes pour tuer le temps, tromper l’ennui et l’apathie qui, jour après jour, m’envahissent. Pourtant mon esprit reste désespérément vide de toute pensée cohérente, mon âme semble, mon âme même semble éteinte. Un vieux tigre attendant la mort ou, peut-être, un ultime combat, l’assurance d’une fin digne et, pourquoi pas, héroïque ?
Quelle horreur ce vide, ce sentiment que même l’amour des siens ne peut nous atteindre…. Même penser devient une épreuve de force, comme si mon esprit se refusait à toute pensée un tant soit peu intelligente, cohérente. Et quand, par miracle, j’accroche une idée, un sentiment qui mérite qu’on s’y attarde, il semble prendre un malin plaisir à m’égarer, ou bien c’est l’insondable futilité de telles pensées qui me rattrape, me renvoyant ma médiocrité en plein visage.
Au final j’oublie l’idée de départ sans m’en rendre compte et je reste là, le regard dans le vide avec cette terrible sensation d’une chute dans le vide de l’esprit… Les pensées défilent trop vite pour m’y raccrocher, telles des lumières dans un tunnel sans fin. Ce n’est que l’obsession de faire quelque chose qui m’aide à refaire plus ou moins surface mais rien ne semble digne d’intérêt. Je ne suis presque plus capable de faire semblant pour les autres, à peine capable d’esquisser un bref sourire, un hochement de tête ou mieux, quelques mots, mais au fond je suis absent, déconnecté. Mis à part de rares moments de bonne humeur toute relative, ou au contraire de colère fulgurante qui me laissent groggy, effrayé par la noirceur bestiale qui sommeille en moi, mes journées restent désespérément vides.
Je dors peu, très mal, et ne rêve quasiment pas, si ce n’est quelques souvenirs incrustés dans des scénarios étranges et désolés. Fragments d’un passé qui semble appartenir à un autre et qui ne me laissent que déception, frustration et nostalgie, tant ces souvenirs semblent refléter les meilleurs moments de ma vie, en tout cas ceux que je regrette le plus.
David
EN CE PENCHANT
Moi, me penchant
Sur cette boulangère pressant
Le pas vers le soleil couchant. Je l’ai vue, elle, se penchant sur ces comptes,
Moi, me penchant de plus en plus sur mes sentiments
Sincères, je me sentis peu à peu caressant son flanc,
Penchant dans le creux de ma main, me pressant
De dévoiler mon penchant pour elle.
Saïd
À ISABELLE
Au crépuscule de ma vie, le silence des mots est venu apaiser le tumulte des jours. Sans cesse je t’écris ces mots qui t’aiment, comme une inlassable litanie qui hante mes jours et comble mes nuits de ta présence.
Le temps et les souffrances ne peuvent effacer ce qui toujours me consume, et mon amour pour toi embrasse la pénombre des souvenirs. J’ai mal loin de toi, j’ai toujours eu mal loin de ton amour, quand parfois tu étais ailleurs, dans une autre espérance que notre amour. Mais retrouver ton sourire est un bonheur rare, une joie comme un éclat de lumière dans le sombre d’une vie, comme une étoile qui palpite au minuit de mes heures. Mon amour n’a que ton souvenir pour ne point me détruire, et j’apprends chaque douleur du tourment, et chaque ombre est pénitence, et les blessures ne se referment de tes tristesses, de tes peines, de tes larmes. Mais ton regard s’est porté sur un ailleurs, en ce lieu où je ne puis être, en cet espace où seuls existent les autres. Je voudrais ton bonheur, et je n’ai que mon absence à ta vie. Quand bien même mon cœur cessera, mon âme en son éternité à ton amour sera bercée.
Alors qu’importe ce que je suis, car toujours nous serons dans la mémoire de mon temps, dans l’absence des autres. Même si mes jours sont ténèbres, la tendresse de tes gestes simples, la délicatesse de ton amour à mon cœur sont manques dans chaque instant du temps qui me sépare de ton regard.
Jacques
UN BONHEUR DONNÉ
Le bonheur d’un homme c’est le bonheur d’un autre,
Mes joies je peux les partager avec toi.
Le malheur d’un homme c’est le malheur d’un autre,
Ce qui m’arrive à moi peut aussi t’arriver à toi.
Le malheur d’un homme fait le bonheur d’un autre,
Par moment ce qui me fait pleurer peut te faire du bien.
Rien ne peut nous empêcher de rêver
Et de nous lever pour que le rêve devienne réalité,
Il ne tient qu’à nous de le faire vivre au-delà des pensées.
Tout un chacun affronte la vie avec les armes qui lui sont données
Parfois jusqu’à se priver d’autorité en oubliant ses priorités,
En continuant à se valoriser et à s’illustrer chaque jour donné,
Afin que nous soyons notre propre fierté, sans besoin d’idolâtrer
Des choses ou des gens qui du néant ne peuvent que nous rapprocher.
Cyril
POUR MOI, NOUS, LES AUTRES…
Pour moi, nous, les autres…
Trop d’injustice
Nous met la crise, porte préjudice.
Tous sur cette liste, récidivistes,
On a du vice,
On a connu le tournevis.
Entre quatre murs
Pas de supériorité, malgré les autorités.
Quotidien carcéral, on garde le moral.
Pour moi, nous, les autres…
Tous, pour des faits divers,
Jugés, cassés, écroués, enfermés,
Sans liberté, il faut payer !
Même innocenté, ça peut t’arriver,
Même si t’es monté dans l’honnêteté,
Dans une vie bien construite, bien remplie…
Soyez humains, comprenez bien,
Ayez du cœur, avec ferveur.
Pour moi, nous, les autres…
Émeute avec ma plume,
Encre qui coule sur le papier
Format A4, j’ai pas le trac,
Coup de matraque.
On peut pas éviter ce sort infligé,
Tous différents dans la galère
Soyons solidaires et restons fiers !
François
On sera tous emprisonnés
Pour un jupon, un balconnet,
Pour avoir osé regarder
On devient tous des assistés.
On est bien plus que des milliers
Pour un message griffonné
Pour un tatouage mal placé
On devient tous embrigadés.
Les prisons forment les assassins
Ceux d’aujourd’hui, ceux de demain
C’est sans nul doute le grand dessein
Tout ça pour une paire de seins.
On sera tous libérés
Des PDG aux ouvriers
Personne ne sera protégé
On sera tous dépités.
Eric
MOI, NOUS, LES AUTRES
Tant de chemins nous séparent les uns des autres, nous rendent différents. Pourtant, tous nous appellent à vivre notre légende personnelle. Chaque jour, je porte en moi ce qui constitue mon individualité. Comparable à une valise où le contenu est organisé par couches successives, les jours, les semaines, les mois, les années. Emplie de ce que la vie aura bien voulu me donner de délices ou de malheurs. Ce moi façonné par le milieu dans lequel je suis né et où j’ai évolué. Un lieu où l’innocence est coupable. Accompagné d’un sentiment, d’un simple regard de l’autre, et voilà que s’inscrit au plus profond de votre mémoire un sentiment de culpabilité, qu’il s’agisse du trauma d’une carence affective, de l’absence de repère paternel ou d’identité, d’un deuil. C’est une escorte de douleur qui nous oblige à faire un choix. Nous y soumettre ou la surmonter. Nous portons tous notre histoire, comme un récit que l’on déroule et où se côtoient des rencontres hasardeuses, providentielles, des réussites, des échecs, des solitudes silencieuses, des déceptions douloureuses. Chacune de nos histoires peut nous unir tous, moi, nous, les autres, à un même
destin. Devenir acteur de notre vie, et refuser le siège du spectateur.
Didier
Je pense au jour où j’ai été embarqué
A cause de la boisson alcoolisée
Dont j’avais abusé. Me voilà menotté,
Embarqué,
Sur le banc des accusés,
Et puis jugé. Direction la Maison d’Arrêt. Je suis pas seul,
Tous enfermés,
Lion dans sa cage
Qui a la rage
Et qui attend
Que la porte s’ouvre
Pour être libre.
Nous qui sommes tous
Dans la galère
Sur cette terre,
Vie pas facile
Tient à un fil,
Vous prisonniers,
Pensez à vos pères et mères
Qui viennent vous voir
Tous au parloir
Prisonniers de vos péchés.
On attend tous la liberté
Pour retrouver les autres,
Ceux qui nous aiment.
Patrick
FATIGUÉ
J’suis en plein sommeil
J’suis tellement fatigué
Fatigué d’être enfermé
Fatigué de trop penser
J’suis en plein éveil
J’suis comme une abeille
Mon esprit s’évade
Mon état d’esprit, je pense, est pur
Même derrière quatre murs
Mon état d’esprit murmure
Faut que le mauvais comme le bon
Me rendent plus dur et plus mature
Je m’efforcerai d’être en osmose
Avec moi-même
Et si même c’est compliqué
Je vais tout faire pour persévérer
J’suis en plein sommeil
J’suis tellement fatigué
Fatigué d’être enfermé
Fatigué de trop penser
J’suis en plein éveil
J’suis comme une abeille
Mon esprit s’évade
J’suis fatigué de voir le monde
Souffrir, et sans pouvoir agir,
Sans agir pour eux, pour ceux
Qui ont besoin de moi, de nous,
Ensemble unissons-nous et nous irons
Ensemble au bout de toutes misères et de toutes galères.
Sébastien